Commémoration de la "Saint Barthelemy grenobloise"
Saint-Barthélémy Grenobloise
Rue des Martyrs à Grenoble, le 28 novembre 2018
Allocution de Danier Huillier, Président de Résistance-Unies de l'Isère
En ce 75ème anniversaire de la mémorable explosion du Polygone d'Artillerie, le temps a gravement éclairci nos rangs. Félicitations aux anciens, de santé précaire, que je vois autour de nous.
Notre ami, le Général Alain LE RAY, ex-chef départemental des Forces Françaises de
l'Intérieur, rappelait dans son allocution lors du 50ème anniversaire de la Libération de Grenoble :
Les hommes dont les noms sont inscrits sur le Mur, illustrent parfaitement cette définition. Ils sont indissociables de quelques pages marquantes de la Résistance qui ont valu à Grenoble la reconnaissance de la France Combattante .
Nous n'avons pas ici le temps de rappeler comment se sont déroulées ces opérations. Elles ont, par la suite, été relatées dans plusieurs livres et quelques reportages. Nous les présenterons aujourd'hui dans l'ordre chronologique, en ébauchant à peine la forte personnalité des principaux acteurs . Leurs proches et leurs compagnons d'armes nous le pardonneront.
- Depuis fin 40, les tous premiers résistants avaient déjà montré leur détermination. Les organisations s'étaient lentement structurées et leurs actions prouvaient à l'ennemi (et en particulier à la Milice), qu'il fallait compter avec ces patriotes follement audacieux.
Mais l'occupation de Grenoble par les troupes allemandes, en septembre 43, durcissait la situation. La sévère répression de la manifestation patriotique du 11novembre 43 allait en donner la mesure en provoquant malheureusement, ce jour -là, plus de 400 déportations dans l'enfer des camps nazis.
- Trois jours plus tard, le 1 4 novembre 1943 peu après minuit, Grenoble était secouée par des explosions en chaîne qu'on entendait à plus de 10 kms à la ronde! La poudrière du polygone d'Artillerie venait de sauter et avec elle des tonnes de munitions et de matériels que les troupes allemandes ne pourraient plus utiliser. Les organisateurs de cette magistrale destruction ont maintenant leurs noms inscrits sur ce mur, fragment de l'ancienne enceinte du Polygone :
- Le Général Delaye, alors responsable du parc, Officier du C.D.M. « Camouflage du Matériel », sans lequel rien n'était possible;
- Le commandant Louis Nal, alias « Brunet», appartenant à COMBAT depuis son retour de captivité, Officier de I'A.S. et quelques mois plus tard, membre du C.D.L.N. nommé Chef départemental des Groupes-Francs de l'Isère qui ont compté plus de 200 actions armées à leur actif. Nal était leur « Patron » (c'est ainsi que l'appelaient ses hommes). Sa disparition prématurée, en juin 1949, les a profondément affectés;
- Aimé Requet, son adjoint fidèle comme son ombre, avait réalisé SEUL sur le terrain cet exploit historique dans les annales de la Résistance. Ses camarades restent toujours admiratifs du courage et du sang-froid incomparables de « Mémé », homme aussi solide que modeste.
A côté de ces trois noms, celui d'un autre héros exceptionnel:
- Eloysi Kospiski, déserteur polonais de la Wehrmacht, rallié au GF « Petit-Louis » sous le nom d'Eloi. Lui aussi a voulu opérer SEUL sur le terrain, pour l'explosion de la Caserne de Bonne, boulevard Gambetta, le 2 décembre. Ces deux destructions ont eu un retentissement difficilement mesurable sur le moral des troupes allemandes.
Eloi, tombé lors d'un engagement contre l'ennemi le 20 août 44 à Domène, ne verra pas la
libération de notre Ville, deux jours plus tard !
Comme celle du Parc d'Artillerie pouvait finalement répondre aux déportations du 11 novembre, la stupéfiante explosion de la Caserne de Bonne, qui a éliminé nombre de soldats ennemis, répliquait à son tour aux massacres qui venaient d'endeuiller la Résistance Grenobloise entre le 25 et 29 novembre.
- Du jeudi 25 novembre au lundi 29 novembre 1943, s'est déroulée « la Saint Barthélémy » des patriotes dauphinois, l'heure la plus tragique qu'eut à subir la Résistance à Grenoble. Une équipe de tueurs de la Gestapo Lyonnaise, détachée à Grenoble pour décapiter la Résistance, fait régner l'angoisse et la terreur d.ans notre ville. La ronde infernale des tractions-avant noires commence le 25 novembre; et les assassinats bien ciblés se succèdent impitoyablement ! Nous ne pouvons rappeler le scénario de ces cinq journées particulièrement sanglantes. Nos amis sont tués sous les yeux de leurs proches ou enlevés pour tenter de leur arracher quelques informations. Et on retrouve leurs corps, à l'aube, affreusement mutilés, presque chaque fois sous une pancarte qui précise: « cet homme a été abattu par les antio-terroristes; sa mort répond de celle d'un national ».
En 5 jours, Sept responsables de mouvements de Résistance (dont 3 chefs départementaux) et quatre de leurs compagnons de lutte, tombent en martyrs de cette sauvage répression, dans les conditions les plus atroces. Parmi eux, le Docteur Gaston Valois, Chef départemental des M.U.R. (ancien de COMBAT).
Arrêté le 27 novembre, il subit 48 heures d'interrogatoire sous les pires tortures, ne prononce pas un mot mais décide d'échapper à ses bourreaux en se donnant la.mort dans sa cellule de la Gestapo, cours Berriat, le 29 au matin.
En 5 jours seulement, vingt-neuf personnes suspectées d'appartenir à la résistance seront interpellées, dix immédiatement abattues ce qui, avec l'héroïque suicide du Dr Valois, porte le nombre des exécutions à 11patriotes. Quatorze partiront en déportation, dans les dégradantes conditions que l'on connaît. Six ne reviendront pas. La Saint-Barthélémy de la Résistance Grenobloise a donc fait (sur le champ ou à terme) dix-sept martyrs.
Or, depuis plus de cinquante-cinq ans, le buste érigé à la mémoire de Valois près de l'Eglise ST-Louis rue Félix Poulat, rappelait seul cette tragédie. Le 29 novembre, une discrète cérémonie y regroupait chaque année quelques amis, de moins en moins nombreux avec le temps. A la demande de « Résistance-Unie », les noms des dix-sept patriotes sont maintenant gravés côte à côte, sur ce mur du souvenir, de part et d'autre du buste rénové. Pour la postérité, nous avons fait le choix de l'ordre alphabétique, avec simplement leur profession et leur âge.
- Autre grande figure de la Résistance de Grenoble : Albert Reynier, alias Vauban,Préfet de l'Isère de la Libération jusqu'à son décès en 1949, ancien combattant de 14-18, ex-chef départemental de l'Armée Secrète, ex-commandant F.F.I. au Maquis du Grésivaudan, Officier de la Légion d'Honneur, Médaille de la Résistance avec Rosette, Croix de guerre. Rappelons que Nal et Reynier sont les deux responsables départementaux de I'A.S. qui ont réussi à échapper aux exécutions de Novembre. Le médaillon à la mémoire de Vauban, érigé au centre de la place de Metz depuis des décennies, bousculé à son tour par les exigences de l'urbanisme, était également en souffrance depuis quelques années, rue Pierre Sémard. Il a rejoint, dans la dignité, le mur du souvenir.
- Pour ceux d'entre vous qui n'auraient pas suivi nos délibérations, nous devons brièvement rappeler pourquoi Pierre Flaureau alias « Pel », ingénieur électricien, avait sa place sur notre mur. Délégué du Parti Communiste pour l'Isère, il le représentait aussi bien à la Direction du Front National qu'au sein de la France Combattante, (alors Présidée par le Dr Valois). Après la tragique disparition de ce dernier, les M.U.R. de l'Isère complètement démantelés, n'avaient plus de Responsable . Une réorganisation s'imposait. C'est alors que Flaureau devient l'investigateur de la réunion dite de « Monaco », à laquelle assistent neuf autres délégués d'organisations de Résistance. Il s'agit de donner au département un exécutif qui, avec le commandement militaire des F.F.I., conduira à l'unitéde réflexion et d'action.
C'est ainsi que, le 25 janvier 1944, la concertation de Méaudre dans le Vercors, donna le jour au C.D.L.N. de l'Isère (Comité Départemental de Libération Nationale) . Ce C.D.L.N. répondait aux exigences du C.N.R., comme à celles de Londres et d'Alger. Et notre camarade Flaureau s'inscrivait dès lors dans l'Histoire.
- Autre caractéristique et fait exceptionnel dans une guerre : le rôle des femmes etleur inestimable contribution à la victoire. Elles se sont discrètement et intelligemment impliquées dans l'organisation de la Résistance. Deux d'entre elles ont même assumé une responsabilité départementale dans l'Isère, à la tête des mouvements Combat etLibération.
- Mais notre respectueux hommage s'adresse à toutes les femmes qui ont fait preuve d'un grand courage, à tous les niveaux de notre lutte clandestine. Bien consciente de risquer la torture et leur vie, elles n'ont pas hésité à entrer dans l'action, là où elles se trouvaient, avec les moyens du bord. Réalisant de faux-papiers, hébergeant un homme recherché ou un enfant juif, soignant des blessés avec lesquels elles affrontaient la mort ou la déportation ... Plus directement exposées encore, les intrépides agents de liaison qui sillonnaient les routes à vélo, par tous les temps, transportant les précieux messages sans lesquels l'Etat-Major F.F.I. n'aurait pu diriger le département. Nombre d'exploits et de sacrifices sont probablement encore méconnus.
- En novembre 1962, à l'initiative de l'Union des Femmes Françaises, une plaque à la mémoire des HEROINES de la Résistance était apposée rue Félix Poulat. Elle est venue ici rejoindre d'autres témoignages de reconnaissance.
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- Le MEMORIAL de la RESISTANCE reste le seul Monument dédié à tous les héros de la Résistance et des Maquis, devant lequel nous nous retrouvons toujours avec beaucoup d'émotions, lors des cérémonies officielles.
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- Je voudrais terminer en m'adressant aux plus jeunes :
- « Le message d'espoir que la Résistance a légué aux générations montantes demeure intact parce que porteur des plus nobles valeurs humaines: le prix de la Liberté et celui de la vie. La Résistance a été un moment fort de notre histoire qui a contribué à la victoire de la démocratie sur le fascisme et au retour à la République ».